Financement d’un bien et valeur du gage, prix d’achat ou valeur d’expertise ?
Le crédit immobilier obéit depuis plusieurs années à de nombreuses réglementations. Notamment celle sur l’évaluation des biens prenant le nom de directive européenne ou MCD (Mortgage Credit Directive). Avec la crise des subprimes l’Europe a tiré les leçons de la crise américaine en voulant mieux encadrer le crédit.
Culturellement le modèle français a longtemps retenu comme principal critère celui de la solvabilité de l’emprunteur, tout était et est passé en revue : salaires, endettement, charges, reste à vivre, etc. Sitôt l’accord de la banque obtenu l’heureux élu pouvait connaître tous types de changements de revenu peu importait pourvu que les créances fussent honorées. Si ce principe a fait florès les parcours de vie professionnelle devenant de plus en plus chaotiques la question de la valeur du gage refait surface.
Renforcer la protection de l’emprunteur
A plus d’un titre car on peut acheter plus haut que ne vaut réellement le bien et le prix d’achat n’est pas garanti dans le temps. Pour le particulier il y a trois sources d’égarement : les prix immobiliers augmentent toujours (allégation il est vrai globalement confirmée depuis 20 ans mais avec quelques trous dans la raquette), on peut acheter trop cher sans s’en rendre compte (achat au prix du mandat, convenance personnelle, état médiocre du produit), on est propriétaire dès lors qu’on signe chez le notaire. Alors qu’en matière boursière chaque actionnaire connait la valeur théorique de ses parts annuellement ou en consultant la cotation du jour le propriétaire immobilier ne connait pas la valeur de son bien tout au long de son occupation. Funeste erreur ! Car comment connaître la valeur réelle de son patrimoine sans avoir la valeur de son bien à intervalles réguliers ?
Du prix d’achat à la valeur du gage, une partie du risque porté par le client ?
La directive crédit insiste, dans le cadre de l’octroi, sur la nécessité de recourir à un expert en évaluation immobilière, naturellement compétent et indépendant, pour analyser si le prix d’achat qui servira à garantir le prêt est conforme au marché. Malheureusement la directive reste assez silencieuse sur les seuils de déclenchement de l’expertise, les banques étant libres d’en définir les modalités dans le cadre de leur politique des risques. Les Belges évoluent actuellement pour que ne soit pris en compte que la valeur d’expertise comme montant garantissant le prêt. Manière de faire porter à l’emprunteur (partiellement) le risque. Ainsi un bien acheté 1 million mais évalué 800 000 € serait financé sur la base des 800 000 €, à charge pour le débiteur de faire l’apport personnel sur les 200 000 € utiles à l’achat.
La Cour de Cassation intègre la valeur du bien à financer dans la capacité financière de l’emprunteur
Plus récemment un particulier n’honorant plus le paiement de ses mensualités bancaires a mis en cause la banque pour manquement à son devoir de mise en garde, avançant que celle-ci aurait dû l’alerter sur l’inadaptation du prêt envisagé face à ses capacités financières. Si la cour d’appel lui donna raison mais affirmant qu’il n’y avait pas lieu de tenir compte de la valeur de la résidence principale faisant l’objet du prêt, la Cour de cassation (Cass. 1e civ. 9-11-2022 n° 21-16.846 FS-B) rejeta l’arrêt sur la base de l’article 1147 du code civil disposant que pour évaluer le risque d’endettement il fallait prendre en considération les biens et revenus de l’emprunteur.
C’est donc une des toutes premières fois sinon la première qu’une telle juridiction rappelle que peut être pris en compte dans la capacité contributive de l’emprunteur la valeur de la résidence principale faisant l’objet du prêt.
Cette disposition va dans le sens de l’histoire et de la réglementation avec un point commun : le recours à l’expert. Qui doit être les yeux et les jambes de la banque pour évaluer mais aussi intégrer une série de paramètres insuffisamment pris en compte tournant autour de facteurs physiques : le bâti et sa valeur durable… Thème d’un futur post !